Bien s'informer sur l'état des sols avant de préempter

Il n’existe pas d’obligation spécifique d’information du titulaire du droit de préemption quant à la pollution du bien. Une commune qui exerce ce droit doit donc se renseigner sur l’état environnemental du bien qu’elle entend préempter, car ses possibilités de recours sont ensuite limitées. Telle est le sens d’un récent arrêt de la Cour de cassation, qui devrait donc inciter les collectivités concernées à faire preuve de vigilance en la matière.

Il n’existe pas d’obligation spécifique d’information du titulaire du droit de préemption quant à la pollution du bien. Une commune qui exerce ce droit doit donc se renseigner sur l’état environnemental du bien qu’elle entend préempter, car ses possibilités de recours sont ensuite limitées. Telle est le sens d’un récent arrêt de la Cour de cassation, qui devrait donc inciter les collectivités concernées à faire preuve de vigilance en la matière.

 

Les collectivités publiques ont la possibilité d’acquérir par priorité, dans certaines zones préalablement définies, les biens mis en vente dans le but de réaliser des opérations d’intérêt général. En matière d’urbanisme, la procédure du droit de préemption urbain (DPU) est soumise à des règles fixées par les articles L. 213-2 et suivants et R.213-4 du code de l’urbanisme. Celles-ci prévoient que tout transfert de propriété soumis à préemption doit être précédé d’une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) sous peine de nullité de l’acte de vente. La collectivité titulaire de ce droit dispose alors d’un délai de deux mois pour préempter, au-delà duquel le propriétaire retrouve la liberté de vendre son bien au prix indiqué dans la DIA.

 

Une commune qui souhaite préempter un bien doit donc, dans les deux mois à partir du jour où elle reçoit la DIA du vendeur (généralement par l’intermédiaire de son notaire), décider si elle acquiert ou non le bien aux conditions prévues dans la DIA. Si elle offre d’acquérir le bien à un prix inférieur à celui prévu dans la promesse de vente, l’article R.213-10 du code de l’urbanisme permet au vendeur de renoncer à vendre son bien. En revanche, si la commune préempte aux prix et conditions indiqués dans la DIA, la vente est réputée parfaite entre les parties et aucune d’entre elles ne peut plus y renoncer. La jurisprudence considère en effet dans ce cas qu’il y a accord sur la chose et sur le prix et que le fait que la chose n’aie pas encore été livrée ni le prix payé est sans effet sur la réalisation de la vente. La constatation du transfert de propriété intervient ensuite par acte authentique dans un délai de trois mois à compter de l’accord, et le prix est payé par la collectivité dans les six mois.

 

Or, les informations contenues dans la DIA sont souvent succinctes et ne permettent pas toujours à la collectivité de se faire une idée précise de l’état du bien qu’elle hésite à préempter. Tel est notamment le cas en cas de présence de pollution dans le sous-sol du bien en cause. L’exercice de leur droit de préemption présente donc un risque pour les collectivités qui doivent d’elles-mêmes aller se renseigner sur l’état du bien qu’elles envisagent d’acquérir.

 

Une obligation d’information environnementale limitée

 

Le contenu de la DIA est précisé par l’article L.213-2 du code de l’urbanisme. Celle-ci « comporte obligatoirement l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée ». Le contenu « obligatoire » de la DIA est donc succinct, même si la jurisprudence estime néanmoins que le notaire doit préciser dans la DIA l’ensemble des renseignements utiles à l’appréciation de l’opportunité de préempter, faute de quoi il engage sa responsabilité. Ainsi, la DIA doit par exemple indiquer le montant de la rémunération de l’agent immobilier qui a servi d’intermédiaire dans la transaction initiale.

 

La DIA peut aussi comporter des documents en annexe (note, plans…) mais l’existence de cette annexe doit être attestée par des mentions portées sur l’imprimé de la DIA. Le droit existant ne prévoit donc pas une information détaillée de la collectivité, notamment sur l’état environnemental du bien préempté.

 

C’est en la matière le droit commun de la vente qui s’applique. Or, dans une acquisition « normale », l’obligation d’information de l’acquéreur d’un terrain pollué reste encore limitée : la seule obligation qui pèse sur le vendeur est prévue par l’article L. 514-20 du code de l’environnement et ne concerne que les biens sur lesquels a été exploitée dans le passé une installation classée soumise à autorisation ou à enregistrement (alors que celles soumises à déclaration engendrent parfois des pollutions bien plus importantes). Dans ce cas, « le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur ; il l'informe également, pour autant qu'il les connaisse, des dangers ou inconvénients importants qui résultent de l'exploitation ». Cette obligation d’information est ainsi imitée en pratique aux anciens sites industriels ou agricoles. Aucune obligation d’information sur la pollution n’existe pour les autres terrains.

 

Ces lacunes de la réglementation applicable aux terrains pollués sont constatées depuis quelques années et la loi Grenelle II a donc introduit deux nouveaux articles dans le code de l’environnement, qui prévoient une information des acquéreurs sur l’état des sols. Le premier (article L.125-6) prévoit que « l'Etat rend publiques les informations dont il dispose sur les risques de pollution des sols », avec une prise en compte de ces informations dans les documents d’urbanisme lors de leur élaboration et de leur révision. Le second (article L.125-7) pose une obligation de transmission par écrit de ces informations, ainsi rendues publiques, du vendeur à l’acquéreur d’un terrain. A défaut d’information et « si la pollution constatée rend le terrain impropre à sa destination précisée dans le contrat, dans un délai de deux ans après la découverte de la pollution, l'acheteur ou le locataire a le choix de poursuivre la résolution du contrat ou, selon le cas, de se faire restituer une partie du prix de vente ou d'obtenir une réduction du loyer ; l'acheteur peut aussi demander la remise en état du terrain aux frais du vendeur lorsque le coût de cette remise en état ne paraît pas disproportionné au prix de vente ».

 

Si l’intention est bonne, la mise en œuvre de ces principes s’avère cependant très compliquée en pratique, si bien que le projet de décret qui doit en permettre l’application n’est toujours pas paru.

 

A l’instar du droit commun, l’information de l’autorité titulaire du droit de préemption est donc très limitée et souvent lacunaire.

 

Des risques pour les collectivités

 

Il arrive ainsi de plus en plus souvent qu’une commune préempte un bien et découvre ensuite que celui-ci est affecté d’une pollution ou bien que cette pollution, dont elle avait été informée, soit plus importante que prévu. Cela génère des risques et coûts importants dont la collectivité doit ensuite faire son affaire. En effet, depuis quelques années, la Cour de cassation se montre sévère vis-à-vis des collectivités préemptrices.

 

Les juges s’attachent ainsi à vérifier de manière pragmatique si, au-delà des informations contenues dans la DIA, la commune était en mesure de savoir que le terrain état pollué. Par exemple, dans un cas où la ville de Marseille avait préempté un terrain qui servait depuis des années de dépôt de ferrailles et matériaux industriels divers, la Cour a relevé qu’il était « de notoriété publique » qu’il avait servi depuis 1945 de déchetterie et qu’ayant acquis le terrain en état de « friche industrielle », la commune « ne pouvait ignorer qu’il était sérieusement pollué et que cela entrainerait un coût de dépollution dans l’hypothèse où elle déciderait de l’utiliser ou de le revendre comme terrain à bâtir ». La Cour a donc rejeté la demande de la commune d’une réduction du prix de vente et de dommages-intérêts (Cass civ 3, 10 septembre 2008, Commune de Marseille, n°07-17086).

 

Récemment, dans un arrêt du 7 novembre 20121, la Cour de cassation a franchi un nouveau pas. Dans cette affaire, une commune avait exercé son droit de préemption sur des immeubles au prix indiqué dans la DIA. Découvrant que le terrain préempté était pollué et que le vendeur comme l’acquéreur initial étaient au courant de cet état de fait, la commune avait alors refusé de signer l’acte de vente. Saisie du dossier, la Cour de cassation a jugé « qu'ayant relevé que l'acquéreur initial avait été informé de la pollution du terrain par un rapport annexé à l'acte sous seing privé de vente et qu'aucune obligation n'imposait aux venderesses d'annexer ce "compromis" à la déclaration d'intention d'aliéner et que la commune disposait de services spécialisés et de l'assistance des services de l'Etat, la cour d'appel […] a pu retenir que la commune qui s'était contentée des documents transmis ne pouvait se prévaloir d'une réticence dolosive ni de l'existence d'un vice caché et devait régler le prix mentionné à la déclaration d'intention d'aliéner et réparer le préjudice subi par les SCI ».

 

Ainsi, le titulaire du droit de préemption qui s’est contenté des documents transmis par le vendeur et qui découvre que le bien préempté est pollué ne saurait invoquer une réticence dolosive ou l’existence d’un vice caché, alors même que le vendeur et l’acquéreur initial étaient informés de l’état des terrains. La Cour a en effet considéré que compte tenu des compétences de ses services techniques, la commune aurait pu avoir connaissance de l’état du bien préempté.

 

Deux éléments ressortent de cet arrêt : tout d’abord la collectivité titulaire du droit de préemption est en quelque sorte assimilée à un acquéreur professionnel, de par les services techniques dont elle dispose ainsi que par l’assistance des services de l’Etat qu’elle peut solliciter. Ensuite, la Cour souligne en quelque sorte les lacunes de la réglementation applicable à la préemption puisqu’elle souligne qu’il n’existe aucune obligation d’annexer le compromis de vente à la DIA. Or, ce document contient souvent des éléments d’information sur l’état environnemental du bien vendu, ou à tout le moins fait référence à un rapport environnemental qui lui est annexé. Ni le compromis ni l’éventuel diagnostic environnemental n’étant joints à la DIA, la commune est rarement mise en mesure, sauf à aller de manière proactive à la recherche de renseignements – ce qui peut être difficile dans le délai de deux mois qui lui est imparti pour se prononcer sur la préemption –, de connaître une éventuelle pollution du terrain qu’elle préempte.

 

Force est donc de constater qu’aujourd’hui, le droit de préemption n’est pas adapté aux cas d’acquisition de terrains potentiellement pollués. Face à ce constat de l’insuffisance des informations contenus dans la DIA, il semble nécessaire de renforcer celles-ci, de manière à mettre la collectivité en mesure de savoir ce qu’elle achète ou à tout le moins de connaître les risques qu’elle prend. En matière de pollution, il pourrait par exemple être obligatoire, si un diagnostic est annexé au compromis de vente, de joindre aussi celui-ci à la DIA.

 

La jurisprudence estime qu’une collectivité qui entend préempter un bien doit se renseigner d’elle-même sur son état environnemental, dans la mesure où aucune obligation spécifique d’information n’existe en la matière.

Au-delà du risque qu’il illustre pour les collectivités titulaires du droit de préemption, l’arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 2012 révèle ainsi les lacunes du dispositif d’information environnementale lors d’une cession immobilière, constitué seulement par l’article L. 514-20 du code de l’environnement. Face aux risques et aux coûts engendrés par l’acquisition d’un terrain pollué, il apparaît nécessaire d’exiger une étude spécifique de l’état environnemental de tout terrain laquelle serait annexée à l’acte de vente, à l’instar des obligations existantes en matière de plomb et d’amiante. Cette étude pourrait aussi être jointe à la DIA de manière à permettre à la collectivité d’être mieux informée sur le bien qu’elle entend éventuellement préempter. 

1 Cass civ. 3, 7 novembre 2012, n°11-22.907

 
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