Quand le droit de l’urbanisme se met au vert

Traditionnellement, les pouvoirs du maire en matière de sites pollués sont extrêmement réduits. En effet, si le maire dispose d’une compétence de police générale, comprenant notamment la salubrité publique et les déchets, c’est au préfet que revient la compétence spécifique en matière d’environnement industriel via la police des installations classées. Cependant, depuis quelques années, le maire se voit plus impliqué dans la gestion des sites pollués, que ce soit par le biais des nouvelles attributions qui lui ont été conférées par la loi à l’occasion de la cessation d’activité d’une installation classée ou par l’extension aux sites pollués de ses pouvoirs en matière de déchets.

Il convient donc de faire le point sur ces nouveaux pouvoirs du maire qui lui confèrent par ailleurs une responsabilité accrue dans le domaine de l’environnement.

 

Le Préfet, autorité traditionnellement compétente en matière d’installations classées

Les articles L. 2212-2 et suivants du code général des collectivités territoriales donnent au maire la possibilité de prendre des arrêtés pour « assurer le bon ordre, la sureté, la sécurité et la salubrité publiques » et « prévenir et faire cesser (…) les pollutions de toute nature ».

Cependant, de jurisprudence constante et ancienne, c’est le préfet qui est l’autorité de police de droit commun en matière d’installations classées[1]. Il s’agit d’une police spéciale dite « exclusive », c’est-à-dire qu’elle ne souffre en principe aucune concurrence de la part de la police générale.

Sauf « péril imminent » – notion appréciée avec rigueur par le juge et qui ne permet en tout état de cause au maire de prescrire que des mesures provisoires – le maire ne peut donc s’immiscer dans la gestion d’une installation classée. Il ne peut pas plus imposer, à ce titre, des prescriptions techniques de réhabilitation de sites ou sols pollués.

Des compétences légales conférées au maire en matière de sites pollués

Néanmoins, depuis l’intervention de la loi « Bachelot » du 30 juillet 2003[2], le maire intervient à l’occasion de la remise en état des sites industriels pollués. En effet, sans remettre en cause le principe de la compétence exclusive du préfet en matière de police des installations classées, cette loi prévoit que l’avis du maire est tout d’abord sollicité lors de la procédure d’autorisation d’une installation classée au sujet de l’usage futur du site : depuis le 1er mars 2006, l’arrêté d’autorisation d’une installation classée doit ainsi déterminer, après avis du maire et du propriétaire du terrain (s’il est différent de l’exploitant), l’état dans lequel devra être remis le site à son arrêt définitif.

Lors de la cessation d’activité de l’installation classée, l’avis du maire est à nouveau sollicité sur l’usage futur du site et sur le niveau de remise en état nécessaire pour permettre un tel usage. Le nouvel article L. 512-17 du code de l’environnement prévoit pour cela un dispositif à 3 étages, mis en œuvre par les articles 34-2 et 34-3 du décret du 21 septembre 1977 modifié.

Lorsque l'installation est mise à l'arrêt définitif, l’exploitant doit transmettre au maire et au propriétaire du terrain ses propositions sur le type d’usage futur du site qu’il envisage. En cas d’accord entre l’exploitant, le propriétaire et le maire sur cet usage, le préfet ne peut pas imposer à l’industriel des prescriptions de remise en état allant au-delà de ce qui a été convenu entre les parties.

A défaut d’accord entre ces personnes, la loi prévoit que la remise en état doit permettre un usage comparable à celui de la dernière période exploitation (c’est-à-dire en pratique un usage industriel ou agricole), qui constitue ainsi le niveau minimal de l’obligation de remise en état. La loi prévoit cependant que le maire peut transmettre au préfet, à l’exploitant et au propriétaire du terrain, dans les 4 mois suivant la notification du désaccord, « un mémoire sur une éventuelle incompatibilité manifeste de l’usage prévu avec l’usage futur de la zone tel qu’il résulte des documents d’urbanisme. Le mémoire comprend également une ou plusieurs propositions de types d’usage pour le site »[3].

Le préfet dispose alors d’un délai de deux mois pour se prononcer sur cette éventuelle « incompatibilité manifeste » et fixer le ou les types d’usage qui devront être pris en compte par l’exploitant pour déterminer les mesures de remise en état.

Cette nouvelle réglementation fait ainsi du maire un acteur à part entière de la remise en état d’un site pollué puisque son avis, notamment lors de la cessation d’activité d’une installation classée, a une place prépondérante dans la définition de l’étendue de la remise en état du site.

La compétence du maire en matière de déchets étendue au droit des sites pollués

Le maire bénéficie par ailleurs, en tant qu’autorité de police, d’une compétence législative en matière de déchets, codifiée à l’article L. 541-3 du code de l’environnement. Cet article, modifié par la loi précitée du 30 juillet 2003, prévoit désormais qu’« en cas de pollution des sols, de risque de pollution des sols, ou au cas où des déchets sont abandonnés, déposés ou traités contrairement aux [dispositions législatives et réglementaires relatives à l’élimination des déchets], l'autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable ».

Dans le cadre de son pouvoir de police des déchets, le maire est donc compétent pour prévenir toute atteinte à la santé publique ou à l’environnement, ce qui lui permet de prendre les mesures nécessaires pour remédier à l’abandon de déchets ou à la pollution du sol. Le Conseil d’Etat a confirmé cette compétence du maire, en soulignant que celle-ci s’adresse au producteur ou détenteur des déchets (le propriétaire du terrain pollué sur lequel sont stockés les déchets, par exemple) mais ne fait pas obstacle, si les déchets sont issus d’une installation classée, à ce que le préfet impose leur élimination ou la remise en état du site à l’exploitant de l’installation (CE 11 janvier 2007, Ministre de l’écologie c/ sté Barbazanges Tri Ouest, req. n°287674).

Cet arrêt confirme ainsi la jurisprudence du Conseil d’Etat qui investit le maire, en vertu de la législation « déchets », d’un pouvoir de police qui trouve à s’appliquer nonobstant la pertinence du droit des installations classées.

Déjà, dans un arrêt Jaeger du 18 novembre 1998 (req. n°161612), le Conseil avait jugé que le maire d’une commune sur le territoire de laquelle est situé un dépôt de déchets peut mettre en demeure le propriétaire du dépôt d’éliminer les déchets, et ce sans préjudice de l’intervention du préfet sur le fondement de la législation sur les installations classées, le préfet étant seul compétent pour retirer ou suspendre l’autorisation de traiter des déchets.

De même, dans une décision du 17 novembre 2004, Société Générale d’Archives (req. n°252514), le Conseil d’Etat a jugé que « ces dispositions [de l'article L. 541-3 du code de l'environnement] ont créé un régime juridique distinct de celui des installations classées pour la protection de l'environnement, n'ont pas le même champ d'application et ne donnent pas compétence aux mêmes autorités ». Le préfet est donc incompétent pour imposer, au titre de la législation « déchets », des mesures de dépollution du sol résultant de l’activité d’une installation classée[4].

Il en ressort que le préfet et le maire disposent chacun de leur pouvoir de police propre (la police des installations classées pour le préfet, celle des déchets pour le maire), au titre de deux législations distinctes, sans que l’un puisse se prévaloir des pouvoirs de l’autre. En conséquence :

-          le préfet ne peut fonder sur la législation déchets une demande de remise en état d’un site pollué par une installation classée ;

-          cette prérogative appartient au seul maire, qui est fondé à prendre des décisions sur le terrain des sites pollués parallèlement au préfet.

Un arrêt de la CJCE du 7 septembre 2004 Paul Van de Walle (aff. C-1/03) pourrait, s’il est confirmé, accroitre encore les pouvoirs du maire en matière de remise en état des sites pollués. Dans cette affaire, la CJCE a en effet jugé que « des hydrocarbures déversés de façon non intentionnelle et à l’origine d’une pollution des terres et des eaux souterraines sont des déchets » et qu’ « il en va de même pour des terres polluées par des hydrocarbures, y compris lorsque ces terres n’ont pas été excavées ». Si l’on en croit cet arrêt, le sol pollué devrait être considéré comme un déchet et partant, sa remise en état relever en droit français de la seule compétence du maire. Il convient néanmoins de rester prudent sur l’interprétation de cet arrêt qui reste à ce jour isolé, n’a trouvé aucun écho dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, et dont les conséquences, en particulier pour les propriétaires de sites pollués, pourraient être majeures.

Responsabilité du maire

Sans s’attarder sur la responsabilité encourue par le maire lorsqu’il n’exerce pas ou pas correctement ses pouvoirs, il convient de rappeler que les autorités sont tenues de s’informer mutuellement des manquements constatés, même lorsqu’ils ne relèvent pas de leur compétence.

On peut à cet égard signaler un arrêt du 8 mars 2006 (CAA Versailles, Commune de Taverny, req. n°03VE04692) à propos d’une installation classée fabricant des produits chimiques qui avait généré une importante pollution. Dans cette affaire, la Cour a engagé la responsabilité de l’Etat pour inaction, mais aussi et surtout celle de la commune au motif qu’elle avait déjà pu constater par elle-même les négligences de l’exploitant, qu’elle « était la mieux à même de connaître les conditions d'exploitation des installations en question, ne pouvait ignorer les graves manquements de ladite société à ses obligations ni les conséquences néfastes pour l'environnement qui en résultaient » et qu'en négligeant d’en informer le préfet ou en ne mettant pas en œuvre elle-même les pouvoirs qu'elle tenait des articles L.541-3 et L.541-4 du code de l'environnement afin d'obtenir l'élimination du contenu des citernes dont le débordement entraînait la pollution de son réseau d'assainissement, « la commune de Taverny a commis une faute de nature à exonérer l'Etat de 70 % de sa responsabilité ».

Il s’agit donc pour les maires, non seulement d’être vigilants sur l’exercice de leurs prérogatives, mais aussi sur l’information qu’ils doivent communiquer aux préfets lorsqu’ils constatent des manquements à une législation qu’il ne leur incombe pas forcément de faire respecter. En l’espèce, le juge a visiblement considéré que bien que le préfet soit compétent puisqu’il s’agissait d’une installation classée, le maire pouvait aussi intervenir, sur le fondement de la législation sur les déchets à l’encontre du détenteur de ces déchets, pour faire cesser la pollution.

En conclusion, si cette multiplication des autorités compétentes pour faire cesser une pollution est louable, il n’en reste pas moins que pour l’exploitant ou le propriétaire d’un site pollué, il devient de plus en plus difficile, face à des demandes similaires mais émanant d’autorités distinctes se fondant sur des textes différents, de comprendre les obligations qui lui incombent, et à quel titre.

L’ESSENTIEL

  • · Si le préfet est l’autorité compétente par principe en matière de remise en état de sites pollués par une installation classée, le maire est désormais consulté sur l’étendue de la remise en état de ces sites et sur leur usage futur.
  • · Dans le cadre de son pouvoir de police sur les déchets (article L. 541-3 du code de l’environnement), le maire est par ailleurs compétent pour prendre les mesures nécessaires pour remédier à l’abandon de déchets ou à la pollution du sol.
  • · Lorsqu’il a connaissance d’un manquement grave à la législation sur l’environnement, le maire est tenu d’en informer le préfet ou de faire application de ses compétences en matière de déchets sous peine de voir la responsabilité de la commune engagée.

 


[1] Voir notamment CE 8 mars 1985, Association les amis de la Terre, req. n°24557 : « sous l'empire de la loi de 1917 comme de la loi de 1976 les établissements classés sont (…) soumis à un pouvoir de police, exercé par le préfet ».

 

[2] Loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages

[3] Article 34-2.IV du décret n°77-1133 du 21 septembre 1977 modifié.

[4] C’est précisément ce que le Préfet de l’Aisne avait tenté de faire dans le dossier Société Générale d’Archives puisqu’il ne pouvait se fonder sur la législation sur les installations classées dans la mesure où cette société, qui ne faisait que stocker des archives, ne s’était pas substituée au précédent exploitant, qui fabriquait des réfrigérateurs et avait laissé les déchets sur le site. En vertu du droit des installations classées, la Société générale d’archives ne pouvait être tenue de la remise en état d’un site qui avait été pollué par un précédent exploitant ayant exercé une activité totalement différente de la sienne et le préfet avait donc tenté de fonder sa demande de remise en état sur le droit des déchets.

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