Les servitudes d’utilité publique, alternative à la dépollution ?

En France, la réhabilitation d’un site pollué par l’exploitation d’une installation classée est fixée par le préfet en fonction de l’usage futur du site. Afin de garantir dans le temps un usage de cette zone compatible avec les mesures de dépollution prises lors de sa remise en état, il est devenu fréquent de mettre en œuvre des restrictions d’usage sous forme de servitudes d’utilité publique.

 

Les servitudes d’utilité publique sont des limitations administratives au droit de propriété et d’usage du sol. Elles entrainent soit des mesures conservatoires et de protection, soit des interdictions, soit des règles particulières d’utilisation ou d’occupation du sol.

Le 16 décembre 2008, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt qui valide implicitement la pratique des servitudes d’utilité publique (SUP) comme alternative à la dépollution d’un site. Autrement dit, un ancien site industriel peut demeurer pollué dès lors qu’il fait l’objet de restrictions d’usage de nature à permettre une utilisation compatible avec la pollution résiduelle.

L’acquéreur d’un site pollué doit donc être extrêmement vigilent sur les restrictions d’usage imposées au terrain qu’il entend acheter.

I. Objet et modalités d’institution des SUP

L’article L. 515-12 du code de l’environnement prévoit que des servitudes d’utilité publique peuvent être instituées sur des terrains pollués de façon à protéger les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement (dangers ou inconvénients pour le voisinage, la santé, la nature et l’environnement, etc.) ou permettre le respect de la sécurité et la salubrité publique. Ces servitudes peuvent ainsi :

- limiter ou interdire des modifications de l’état du sol (interdiction pure et simple de construire, impossibilité de destiner le site à un usage d’habitation, prescriptions techniques particulières pour la construction, les matériaux utilisés, etc.), 
- limiter ou interdire des modifications de l’état du sous-sol (obligation de terrassement, interdiction des affouillements, interdiction d’utiliser l’eau provenant de la nappe phréatique, etc.) 
- permettre la mise en œuvre de prescriptions relatives à la surveillance du site (mise en place de piézomètres pour surveiller l’évolution de la pollution, libre accès de l’exploitant à ces installations pendant toute la période de surveillance, etc.).

Outre le terrain d’emprise d’une ancienne installation classée, les servitudes peuvent aussi s’appliquer sur les terrains voisins s’ils sont affectés par la pollution. Par exemple, l’obligation de surveillance d’une nappe phréatique ou les restrictions d’utilisation de celle-ci peuvent s’étendre au-delà du site industriel aussi loin et aussi longtemps que les effets de la pollution sont perceptibles.

La procédure d’institution de ces servitudes est régie par les articles R.515-25 à R.515-31 du code de l’environnement. C’est le préfet qui est compétent pour les instituer, de sa propre initiative ou à la demande de l’exploitant ou du maire de la commune où sont situés les terrains. En l’état de la réglementation, le propriétaire d’un site pollué ne peut pas demander – s’il est différent de l’exploitant – l’institution de telles servitudes sur son terrain, ce qui parait étonnant dans la mesure où depuis la loi Bachelot du 30 juillet 2003 , le propriétaire d’un site sur lequel une installation classée a été exploitée est consulté, lors de la cessation d’activité de celle-ci, sur l’usage futur du site et le niveau de réhabilitation qui va être demandé à l’exploitant locataire. Le propriétaire d’un terrain pourrait donc tout à fait avoir un intérêt à agir en matière de SUP.

A l’appui de sa demande, l’exploitant ou le maire doit préparer un dossier sur lequel l’inspection des installations classées rend un rapport. Sur la base de ce rapport et après consultation de la direction départementale de l’équipement (DDE) et du service chargé de la sécurité civile, le préfet arrête un projet de servitudes.

Ce projet de servitudes est communiqué à l’exploitant et au maire, puis soumis à enquête publique pendant un mois. La loi n°2009-526 du 12 mai 2009 est cependant venue alléger cette procédure puisque désormais, « lorsque le petit nombre des propriétaires ou le caractère limité des surfaces intéressées le justifie », le préfet pourra « procéder à la consultation écrite des propriétaires des terrains par substitution à la procédure d’enquête publique ». Une enquête publique n’est donc plus nécessaire lorsque la servitude concerne peu de propriétaires ou une emprise foncière limitée, c’est-à-dire dans la majorité des cas.

L’inspection des installations classées, après consultation des différents services intéressés, établit ensuite un rapport sur les résultats de l’enquête et donne ses conclusions sur le projet. Ce rapport et ces conclusions sont soumis au CODERST (Conseil Départemental de l’Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques). Le demandeur et le maire de la ou des communes concernées peuvent se faire entendre par le Conseil.

Enfin, le préfet fixe par arrêté le contenu des servitudes d’utilité publique, lequel est publié et notifié aux personnes intéressées.

Les SUP sont annexées au Plan Local d’Urbanisme (PLU) et publiées au registre des hypothèques. Elles sont par ailleurs mentionnées dans le certificat d’urbanisme délivré par la mairie en cas de demande de constructibilité du terrain. Dans ces conditions, il est donc relativement aisé pour un acquéreur de savoir si le terrain qu’il entend acheter est grevé ou non d’une SUP.

Des surprises peuvent cependant arriver, comme le révèle l’arrêt du Conseil d’Etat du 16 décembre 2008 précité.

II. Risques et précautions à prendre par l’acquéreur d’un site pollué

Dans cette affaire, la société Foncière du Vivarais avait acquis en 1995 un terrain sur lequel avait été exploitée jusqu’en 1986 une usine de fabrication de matériaux de construction contenant de l’amiante. Postérieurement à la cession, des travaux de désamiantage des bâtiments ont été prescrits par le préfet au vendeur exploitant et exécutés par celui-ci ; les déchets d’amiante enfouis dans le sol ont été recouverts d’une couche de grave et le préfet a institué des servitudes d’utilité publique comportant l’interdiction de procéder à des affouillements.

Insatisfait de ces mesures qui l’empêchaient concrètement de construire sur le terrain qu’il avait acquis, l’acquéreur du site a alors demandé au préfet de mettre en demeure l’exploitant initial, la société Everite, de décontaminer le site, ce que le préfet a refusé.

Le Conseil d’Etat a rejeté le recours de la société Foncière du Vivarais contre ce refus du préfet en indiquant que les seuls risques connus de l’amiante concernaient l’inhalation des poussières en suspension dans l’air et que l’enfouissement des déchets d’amiante, assorti des servitudes prohibant toute occupation du sol qui nécessiterait des travaux d’affouillement, étaient suffisants pour assurer la protection des intérêts mentionnés à l’article, L. 511-1 du code de l’environnement. En outre, l’exploitation ayant cessé avant le 1er octobre 2005, l’usage à prendre en compte pour la remise en état était un usage « comparable à celui de la dernière période d’exploitation », soit un usage industriel, donc moins sensible qu’un autre. Dans ce cadre, les mesures prises, au nombre desquelles les servitudes, ont été jugées suffisantes par le Conseil d’Etat.

Le Conseil rappelle en outre dans cet arrêt que la remise en état n’a pas pour objet de rétablir les lieux dans l’état qui était le leur avant le début de l’exploitation, ce qui impose à l’acquéreur, averti de ce qu’une installation classée a fonctionné sur le terrain, « de se renseigner sur sa contamination ». Autrement dit, la présence d’une pollution dans le sol est tout à fait possible et tolérée, le critère du niveau de dépollution étant l’atteinte d’un niveau permettant l’absence de risque pour la santé ou l’environnement . C’est pour cela qu’il n’existe pas en en droit français – à l’inverse d’autres pays comme la Belgique ou les Pays-Bas par exemple – de seuils de pollution : c’est l’usage auquel est destiné le terrain et le risque résiduel qu’il peut présenter qui conditionnent le niveau de dépollution.

Le juge en a déduit que dans la mesure où l’acquéreur était un professionnel de l’immobilier, il avait été imprudent en ne procédant pas à ces recherches sur la contamination du terrain et en surestimant le prix du bien. Il a donc rejeté son action en responsabilité contre le préfet.

Ce faisant, le Conseil d’Etat semble aussi valider implicitement les servitudes d’utilité publique au titre des mesures de remise en état d’un site pollué. En effet, la mise en place de la servitude a permis que les déchets d’amiante soient seulement enfouis et confinés dans le sol, alors qu’une réelle dépollution aurait impliqué l’enlèvement de ces déchets et leur traitement dans une installation spécialisée. On pourrait presque parler de dépollution « a minima » du fait de la possibilité de mettre en place de telles servitudes sur des sites pollués.

Enfin, le Conseil d’Etat se montre plus strict que la Cour de cassation vis-à-vis de l’acheteur d’un tel site, à qui il incombe selon cet arrêt, outre l’information qui lui est transmise, de se renseigner lui-même sur la contamination du terrain. Le juge civil a au contraire tendance à faire peser sur le vendeur une véritable obligation de résultat quant à l’information qu’il délivre à l’acquéreur sur l’état environnemental du terrain vendu sur le fondement de l’article L. 514-20 du code de l’environnement. Cet article prévoit que lorsqu’une installation classée soumise à autorisation a été exploitée sur un terrain, le vendeur est tenu d’en informer par écrit l’acheteur, ainsi que des dangers et inconvénients qui en résultent, sous peine de résolution de la vente ou de réduction du prix. Adoptant une interprétation extensive de cet article, la Cour de cassation a par exemple jugé que cette obligation formelle d’information qui pèse sur le vendeur s’impose même si l’acheteur n’ignorait pas l’existence d’une telle exploitation .

Démuni lorsque son terrain est grevé d’une servitude d’utilité publique, le propriétaire peut cependant demander à l’exploitant de l’installation à l’origine de la pollution, dans un délai de trois ans à compter de la notification de la servitude, d’être indemnisé s’il démontre que la servitude lui cause un préjudice. En cas de désaccord sur le montant de l’indemnité réclamée, le litige est tranché par le juge de l’expropriation.

 

Il est surtout conseillé de prévoir dans les contrats de cession des clauses régissant l’institution de servitudes sur le terrain objet de la vente. Et ce d’autant plus qu’aucune disposition légale ne prévoyant la suppression ou la modification des SUP, celles-ci peuvent parfois perdurer alors qu’elles ne se justifient plus dans les faits.

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