L'obligation de remise en état s'éteint au bout de 30 ans ... mais pas pour tout le monde
Si l'ancien exploitant n'a plus à financer la dépollution passé ce délai de 30 ans, le propriétaire du site pourrait in fine se voir imposer cette charge.
Les exploitants d’installations classées pour la protection de l’environnement (« ICPE ») sont tenus, lors de la cessation de leur activité, de remettre leur site en état, autrement dit de le dépolluer, en fonction d’un nouvel usage déterminé selon des modalités prévues par le code de l’environnement[1].
La charge financière de cette remise en état est soumise à une prescription trentenaire à partir de la date à laquelle la cessation d'exploitation a été portée à la connaissance de l'administration, sauf dans le cas où des dangers ou inconvénients auraient été dissimulés[2].
Cependant, en vertu du principe d’imprescriptibilité des mesures de police, le Conseil d’Etat a précisé que le préfet peut exercer à tout moment ses pouvoirs pour prévenir les dangers et inconvénients résultant d’une ancienne ICPE, et ce même plus de 30 ans après la déclaration de cessation d’activité et la remise en état[3].
Cette délicate articulation entre les pouvoirs de police administrative et la prescription trentenaire, pilier du droit civil des obligations, implique ainsi que l’Etat peut prescrire des travaux de remise en état à tout moment, mais sans toutefois en faire supporter le coût à l’ancien exploitant ou à son ayant-droit au-delà d’un délai de 30 ans après la déclaration de cessation d’activité. Le Conseil d’Etat opère en effet une distinction entre l’obligation de remise en état elle-même – imprescriptible – et la charge financière des mesures à prendre au titre de celle-ci.
Dans un arrêt du 13 novembre 2019 (n°416860), le Conseil d’Etat est venu compléter sa jurisprudence sur le point de départ de cette prescription trentenaire et sur les conséquences de l’expiration de ce délai de prescription.
Point de départ de l’obligation trentenaire de remise en état
Il était traditionnellement considéré par la jurisprudence, tant administrative que judiciaire, que le point de départ de la prescription trentenaire était la déclaration de cessation d’activité[4], ou à tout le moins la date à laquelle la cessation d'exploitation avait été portée à la connaissance de l'Administration[5].
Il existe cependant des cas, comme en l’espèce, où l’ancienneté du dossier ne permet pas de démontrer cette information de l’administration, ce qui peut générer dans les faits une imprescriptibilité de l’obligation pesant sur l’exploitant. Dans son arrêt du 13 novembre, le Conseil d’Etat rappelle que c’est le décret du 21 septembre 1977[6] qui a créé l’obligation de déclaration de cessation d’activité au préfet. Ainsi, dans la mesure où une telle obligation formelle de notification de l’arrêt de l’ICPE n’existait pas auparavant, le Conseil considère que lorsque l’installation a cessé de fonctionner avant l’entrée de ce décret, le délai de prescription court à compter de la date d’arrêt effectif de l’activité.
En l’espèce le délai de prescription était donc écoulé puisque l’activité s’était arrêtée en 1920, et ce même si aucune déclaration de cessation d’activité n’avait été effectuée.
Cette prise de position apparaît raisonnable au vu du nombre croissant de sites que l’on découvre pollués à l’occasion de leur réaménagement, des années après l’arrêt de l’exploitation, et devrait permettre d’assurer une meilleure sécurité juridique pour les industriels. Elle présente cependant des risques pour les propriétaires de terrains pollués.
Conséquences de l’acquisition de la prescription trentenaire par l’exploitant
Dans son arrêt du 13 novembre 2019, le Conseil d’Etat tire aussi les conclusions de l’expiration du délai de prescription à l’encontre de l’ancien exploitant. Dans ce cas, dans la mesure où la prescription trentenaire est sans incidence sur l’exercice par le préfet de ses pouvoirs de police administrative, si des dangers ou inconvénients se manifestent sur le site, celui-ci peut décider, lorsque la prescription trentenaire est acquise pour l’exploitant, de financer lui-même les opérations de dépollution nécessaires et il en a l’obligation en cas de risque grave généré par la pollution. Il devrait pouvoir aussi se tourner vers le propriétaire du terrain si celui-ci a été négligent, conformément à une jurisprudence désormais acquise et à l’article L.556-3 du code de l’environnement.
Issu de la loi ALUR du 24 mars 2014[7], cet article prévoit en effet qu’ « à titre subsidiaire, en l'absence de responsable [exploitant de l’ICPE à l’origine de la pollution des sols ou producteur ou détenteur des déchets], le propriétaire de l'assise foncière des sols pollués par une activité ou des déchets, s'il est démontré qu'il a fait preuve de négligence ou qu'il n'est pas étranger à cette pollution » peut être responsable de la remise en état.
Le décret d’application de cette disposition législative n’a jamais été adopté de sorte que c’est la jurisprudence qui continue, au cas par cas, de tenter de trouver une personne solvable pour assurer la dépollution d’un terrain dont l’exploitant est défaillant ou bénéficie de la prescription trentenaire.
De fait, depuis quelques années, la jurisprudence tant du Conseil d’Etat que de la Cour de cassation, n’hésite pas à rechercher la responsabilité du simple propriétaire d’un terrain pollué ou sur lequel sont stockés des déchets, notamment lorsqu’il a fait preuve de « négligence ».
Le Conseil d’Etat a même récemment jugé que si un acte de vente a eu pour effet de substituer l’acquéreur à l’exploitant, en lui transférant par exemple l’ensemble des biens et droits se rapportant à l’exploitation, le propriétaire du terrain d’assiette de l’exploitation pouvait devenir débiteur de l’obligation de remise en état[8] en lieu et place de l’ancien exploitant, alors même que le propriétaire n’exploite pas ces installations et qu’aucun changement d’exploitant n’a été notifié à l’administration.
L’objectif affiché est de responsabiliser les propriétaires et acquéreurs de terrains pollués en les contraignant, lors de leurs projets d’aménagement ou de construction, à prendre en compte l’état de pollution de leurs biens. La jurisprudence administrative va dans le sens de cette responsabilisation, de même que les dispositions de la loi ALUR codifiées aux articles L.556-1 et 2 du code de l’environnement qui imposent de nouvelles obligations aux maîtres d’ouvrage qui construisent dans des Secteurs d’Information sur les Sols (« SIS ») ou qui changent l’usage d’un bien anciennement industriel.
-> La charge financière de l’obligation de remise en état qui incombe à l’exploitant d’une ICPE est soumise à une prescription trentenaire à partir de la date à laquelle la cessation d'exploitation a été portée à la connaissance de l'administration. Cependant, lorsque l’installation a cessé de fonctionner avant le 8 octobre 1977, le délai de prescription court à compter de la date d’arrêt effectif de l’activité.
La prescription trentenaire est cependant sans incidence sur l’exercice par le préfet de ses pouvoirs de police administrative : si des dangers ou inconvénients se manifestent sur le site, celui-ci peut décider, lorsque la prescription trentenaire est acquise pour l’exploitant, de financer lui-même les opérations de dépollution nécessaires et il en a l’obligation en cas de risque grave généré par la pollution. Il peut aussi se tourner vers le propriétaire du terrain si celui-ci a été négligent, conformément à une jurisprudence désormais acquise et à l’article L.556-3 du code de l’environnement.
Par Laurence Esteve de Palmas
[1] Articles L. 512-6-1 du code de l’environnement pour les ICPE soumises à autorisation, L. 512-7-6 pour les ICPE soumises à enregistrement et L. 512-12-1 pour les ICPE soumises à déclaration.
[2] CE 8 juillet 2005, Alusuisse Lonza, req. n°247976.
[3] CE 12 avril 2013, SCI Les Aulnes, req. n°363282.
[4] Cass civ 3, 27 mai 2010, n°09-13438.
[5] Voir notamment CE 8 juillet 2005, Alusuisse Lonza, précité.
[6] Décret n°77-1133 pris pour l’application de la loi n° 76-663 relative aux ICPE.
[7] N°2014-366
[8] CE 29 juin 2018, n°400677